Un week-end dans un cratère

Vendredi soir, à la sortie du travail à 18h, je récupère Bénédicte, Marie et Stéphane (d'autres volontaires DCC) dans mon pickup et nous mettons le cap sur Melong. Le trajet devient de plus en plus rude à mesure que la nuit tombe. Il est alors question de réussir à garder la route malgré les phares des automobiles en face, des possibles véhicules roulant à contre-sens sur notre file parce que doublant un benskin (un taxi-moto) ou un camion, des obstacles en tout genre : dos d'âne très hauts, véhicules accidentés laissés là, nids de poules conséquents, piétons... Nous arrivons finalement à 20h moins (une expression locale), après avoir raté l'accès à la piste, chez les frères Franciscains de l'Emmanuel de Melong.

Une soirée chez les frères de Melong Nous sommes joyeusement accueillis dans leur propriété aux bâtisses relativement récentes par l'un des frères mais aussi par notre chargé de mission DCC, Jean-Christophe, accompagné de deux autres coopérantes : Soizic et Anne-Julie. En rentrant dans l'un des bâtiments où se trouve la salle à manger, nous sommes attendus par une dizaine de frères jeunes, aux yeux pétillants de vie et au sourire radieux. Après nous avoir salué, ils entament alors un chant a cappella avec pour refrain « Soyez ici chez vous comme chez nous ». Leurs voix sont magnifiques tandis que leurs couplets, inventés sur le tas, sont remplis d'humour. Ce prélude nous rempli déjà d'une sensation impressionnante de bien-être et de sérénité. Il est alors temps de passer au repas qu'ils nous ont préparés et gardés au chaud : spaghetti sauce tomate et poisson grillé. Celui-ci, accompagné d'une bière — la boisson officielle du Cameroun — est très appréciable et tombait à point nommé pour nos estomac affamés par la route. À la suite de quoi, nous sommes conviés, par les cloches tintinnabulantes, à participer au complies. Leur chapelle est vaste, relativement haute de plafond mais suffisamment simple pour ne pas se laisser distraire. D'ailleurs, le peu de distraction possible cesse immédiatement lorsque les frères entament les chants et psaumes : le mélange de leur voix, amplifiées par l'architecture des lieux, est divin et nous plonge dans un état de recueillement profond ; j'aurais aimé que ce moment dur encore et encore tant ces complies étaient magnifiques. C'est cependant l'heure de regagner nos penates. Nos chambres, regroupées dans un bâtiment jouxtant la chapelle, sont d'un confort certain et d'une propreté remarquable, comme le reste du site d'ailleurs. Il est un peu plus de 22h lorsque nous rejoignons Morphé, chacun dans nos chambres, sous la bienveillance d'un Christ phosphorescent accroché à nos murs. Je suis cependant brusquement réveillé à 5h du matin lorsqu'un bruit assourdissant se fait entendre ; une pluie conséquente est en train de tomber sur le toit en zinc : depuis quelques jours, il pleut quotidiennement et cela intrigue les Camerounais qui ont rarement vu ça en saison sèche, malgré la période des « pluies des mangues ». C'est l'orage qui vient se rajouter au capharnaüm sonore, quelques instants plus tard. J'en profite pour fermer la fenêtre alors que la température de la pièce s'est nettement rafraichie : il n'y a pas à dire, l'altitude nous offre un temps bien frais comparé à la chaleur étouffante de l'hôpital. Lorsque le réveil sonne à 6h45, la pluie tombe toujours tandis que l'orage est passé. Dix minutes plus tard, les frères sont déjà installés dans la chapelle pour la messe. L'espace se rempli bien vite de ces somptueux chants accompagnés de tamtam, maracas et autres percussions, offrant à cet office, une dimension spirituelle hors du commun. Après un bon petit-déjeuner en présence des frères, nous les quittons, non sans laisser un petit mot dans leur livre d'or, afin de nous mettre en route vers le cratère.

Le départ de la randonnée Après s'être rapproché du pied des montagnes et après avoir complété notre ravitaillement au marché, nous nous mettons en route à 10h23 sous un temps couvert mais certain : nos sacs sur le dos et notre guide prêt, c'est parti pour une marche d'un peu plus de cinq heures. À mesure que nous nous avançons, nous traversons quelques habitations entourées de nombreux bananiers où les petits enfants s'empressent de nous crier des « bonyou' », le sourire au oreilles et secouant la main au dessus de leur tête. Les chèvres, laissées en liberté, s'enfuient sans omettre quelques bêlements, légèrement apeurées par notre groupe. À mesure que la taille du chemin rétrécit, les habitations se font de plus en plus rares jusqu'à laisser place à une végétation de bananiers et de fougères. Par ci, par là, nous devons enjamber d'impressionnantes colonnes denses de fourmis rouges, peu recommandables, traversant notre itinéraire. Une heure passée et notre hauteur nous permet d'apprécier la région, d'aussi loin que l'Armatan nous le permet. Les bananiers ont laissé place aux buissons et herbes hautes. Un peu plus loin, un bois dense nous apporte un peu d'air frais. Tandis qu'un autochtone descend à cheval, un bruit lointain d'une cascade arrive jusqu'à nos oreilles. Les arbres disparaissent de nouveau, retournant à une végétation de petits buissons, de fougères et d'herbes. Une heure plus tard, c'est une case que nous voyons au loin ; puis deux, puis trois. Là encore, les enfants y habitant nous saluent chaleureusement. En poursuivant notre route à travers ce minuscule village perdu en haut de cette petite montagne, accessible uniquement par le chemin que nous venons d'emprunter, nous tombons devant « l'école publique des monts ». Il est 12h30 : l'heure idéale pour partager un déjeuner d'arachides, avocats, pâté, fromage et pain.

Après le déjeuner Une fois notre repas digéré, nous reprenons notre périple vers le cratère. Il nous fait passer par des prairies ou des bois, enjamber des petits cours d'eau, monter au sommet d'une montagne pour redescendre sur sa crète et remonter sur sa voisine ; jusqu'au moment où nous arrivons au bord du cratère vers 15h. Le paysage est tellement magnifique que nous prenons un long moment pour le contempler. Ce trou d'où sortait, jadis, un magma incandescent, est considérablement grand. Il en est même difficile d'y voir toute sa circonscription. En son centre se trouvent deux lacs baptisés « les lacs jumeaux ». Le plus visible est nommé le lac femelle tandis que l'autre est le mâle. L'explication proviendrait du fait que l'un est plus accessible que l'autre ; bien que, selon moi, les noms auraient du être inversés ☺. Au-delà de ces derniers, quelques cases sont visibles, formant un village Peule : une ethnie de Camerounais fermiers anglophones et nomades du nord du pays. Pour leur part, ils semblent s'être sédentarisés ici. Notre pause finie, nous pénétrons à l'intérieur du cratère en direction des lacs dans l'idée de s'y baigner. Le trajet, assez abrupt, se fait sans encombres, marchant parfois à côté de petits serpents se faufilant dans l'herbe. Le premier des lacs, le mâle, est le plus joli. Très encaissé et aux parois tapissées d'une végétation épaisse, l'eau est d'une couleur émeraude. La chaleur nous donnerait envie d'y plonger sans réfléchir, mais il nous restera impossible d'accès. Nous continuons alors vers le second lac, beaucoup plus grand et d'une couleur bien bleue. En haut de celui-ci, beaucoup de monde s'agite : beaucoup de jeunes camerounais venus ici en touristes regagnent leur benskin ou se dirigent à pied vers les cars Coaster les attendant un peu plus bas. Les palabres tranchent avec le calme passé qui nous entourait durant la randonnée. Nous nous engageons vers un immonde escalier en béton qui mène vers l'eau. Nous sommes interpelés par un homme chargé de faire payer l'accès à ce site, pourtant naturel. Préparé à cette idée et à la somme considérable qu'il allait nous demander : 2500 FCFA par personne + 1500 FCFA par appareil photo, nous lui faisons comprendre que nous payerons à notre retour.

Panoramique du cratère Qu'il est bon de se baigner à plus de 2200m d'altitude au beau milieu d'un cratère ! Même si la température de l'eau ressemble plus à celle de l'océan Atlantique à Brest en plein mois d'août et qu'il faut du temps pour rentrer dans l'eau, nous profitons tout en nous rafraîchissant de la longue marche effectuée, pendant que le soleil entame son coucher. Pendant ce temps, le percepteur est descendu nous attendre sur la rive, désespéré de voir l'heure avancer et notre envie grandissante de profiter encore de ce moment. Mais comme toutes les bonnes choses ont une fin, vers 17h, nous nous apprêtons à repartir en marche en direction de notre lieu d'hébergement : le village Peule. Il aura fallu d'âpres négociations pour obtenir un petit prix pour ce moment de détente ; mais notre chargé de mission, aidé par notre guide, y sont arrivés avec brio. Le raide escalier n'est pas aisé à remonter mais la remise en marche jusqu'aux habitations est facilité par un terrain plat. À 17h30, nous saluons l'une des propriétaires des cases : une femme d'un certain âge, aux traits marqués et aux habits de couleurs chaudes : jaune, vert et bleu.

Nuit dans le village Peule Comme elle ne parle que le pidgin, après son « bonsoir », elle nous conduit jusqu'à notre case. Construite sur une dalle en béton, faite de planches de bois et surmonté d'un toit en tôle, elle se compose d'une grande pièce avec fenêtre. Une petite partie, accessible par une seconde porte extérieure, sera la chambrée de notre guide et de son amie qui nous suit depuis le début. Avant que la nuit ne tombe, nous nous empressons de préparer notre lit qui sera composé de nos sacs à viande ou duvet posés sur un maigre tapis de mousse, à même le sol. Une fois le feu préparé dans la case cuisine, par la maitresse de maison, une partie de notre expédition se charge de préparer le dîner : arachide, spaghettis sauce tomate, guacamole, emmental et pain. La case de la cuisine est construite à partir de montants en bois et de poutres. Les murs sont réalisés à partir de feuilles de palmiers pliées en leur milieu et disposées sur des branches horizontales. Tandis qu'un petit feu, fait dans un trou dans le sol et entouré de trois pierres, se tient quasiment au milieu de la pièce, le reste de l'espace contient une grande quantité de bois de chauffage, un établi, des étagères et les ustensiles de cuisine : casseroles, marmites, bassines, couverts etc. Puisque la nuit est tombée et que le froid s'est installé, nous nous retrouvons tous autour du feu, assis sur de petits tabourets, afin de nous réchauffer. Il faut cependant un peu de temps pour nous habituer à l'obscurité des lieux non électrifiés : l'éclairage ne provenant que des quelques flammes du foyer. Pendant notre repas, notre hôte se tient dans la pièce, nous supervisant. Une de ses filles et de ses petites filles s'y tiennent aussi, nous regardant manger. On leur propose de se joindre à nous : c'est sans doute la première fois qu'elles goûtent à de l'emmental, qu'elles ne semblent pas détester par ailleurs. Après avoir passé un bon moment tous ensemble, le feu est quasiment éteint, il fait froid, il fait nuit, il fait noire, la plupart des habitants sont partis se coucher. Nous décidons d'en faire autant : il est 20h45 !

Départ du cratère le dimanche On entend frapper à la porte de notre case : c'est notre guide qui tente avec difficulté de nous tirer de notre sommeil ; et ce, malgré une nuit difficile pour mon dos et mon bassin qui n'ont guère apprécié la dureté du sol — et je ne parle pas du froid (on m'avait pourtant dit de prendre un duvet... mais quand on n'a qu'un sac à viande...). Il est 7h30. Une fois habillés, nous nous dirigeons vers la case cuisine afin d'y prendre notre petit déjeuner. Au menu : thé ou café camerounais, pain et gâteaux. Une fois rassasiés, nous remettons nos sacs sur le dos et, après avoir remercié nos hôtes, nous repartons sur le chemin du retour. Nous profitons du guide, du beau temps et du paysage pour prendre quelques photos de groupe. Afin de varier les plaisirs, le chemin diffèrera légèrement de celui de l'aller : nous contournons les lacs par l'autre côté et nous décidons d'emprunter le « chemin des chevaux », sensiblement plus long mais moins raide. Le paysage reste toujours aussi magnifique et toujours aussi étonnant tellement l'impression que nous sommes en plein Afrique Centrale nous échappe : j'ai souvent cette impression de faire une randonnée dans mes chères Pyrénées.. L'école de la veille nous sert, une nouvelle fois, de point de déjeuner : avocats, pâté, vache qui rit et pain seront notre repas. Un peu plus d'une heure plus tard, les habitations apparaissent devant nous puis le village, puis le pickup : nous n'aurons mis que quatre heures pour faire ce retour. Nous nous quittons chacun fatigué mais remplis de tous ces paysages magnifiques, ces belles rencontres et ce moment de vie croqué à pleine dents.

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Par Pauline Rossignol, le 27 février 2012 à 12:08

Quel plaisir de te lire !! :) Bises.

Par Aurélien, le 27 février 2012 à 15:32

Merci ma chère Pauline, tu es adorable ;-) Bisous

Par Matthieu de la Forest, le 3 avril 2012 à 21:38

Excellent cet article !!! ca a l'air top !!! profitez en bien M'sieur titou ! matt