L'histoire d'un aller vers le Cameroun

Il est 13h30 lorsque je rentre dans ce « triple 7 » d'Air France qui me conduira jusqu'à Douala, la capitale économique du Cameroun. Je me faufile au plus profond de cet interminable oiseau de fer à la recherche de la 46ème rangée, croisant en chemin mes confrères de voyage ; la plupart sont vêtus comme des hommes d'affaires dont certains sont accompagnés de leur femme et de leurs adorables enfants métissés. Un grand nombre semble se connaître tandis que les enfants, qui vont et viennent, parlent de leur rentrée des classes – des expatriés revenus en Europe le temps d'un Noël. Et plus j'avance, plus des hurlements se font entendre. Au fond de l'avion apparaissent des policiers entourant un Camerounais menotté et assis à la dernière rangée. Celui-ci hurle en continue « J'ai mal », « mes bras », « Pitié Seigneur », « N'y a-t-il personne ? Aucun français ? ». Les passagers qui viennent à leur tour au fond de l'appareil, trouver leur place, regardent la scène éberlués. Certains se mettent à dire, tout haut, que c'est un scandale et vont parfois jusqu'à jurer sur notre président actuel et son choix de reconduite d'immigrés à leur frontière. Le temps passe et l'avion est toujours portes ouvertes. Les cris incessants de l'homme sont tels que les voyageurs sont de plus en plus irrités. Certains vont jusqu'à hausser le ton contre les forces de l'ordre en leur expliquant que cette situation est inacceptable, tant dans l'idée de la reconduite de ce monsieur dans son pays natal que dans l'idée de passer leur voyage dans ce brouhaha. L'ambiance est électrique, il est 14h45 et le vol de 13h45 est toujours stationné devant l'aérogare. Des bruits courent que l'auteur des cris aurait commis un délit peut-être grave ; mais aussi qu'il serait reconduit sans sa femme et ses enfants laissés en France. Il est finalement débarqué vers 15h avec tout l'effectif de police et il faut attendre de moultes comptages et re-comptages des passagers avant de pouvoir s'élancer sur la piste de décollage, faisant suite à ce colosse d'A380. Une certaine sérénité s'installe enfin en cabine.

Après quelques heures de voyage et un repas ingéré, un regard intrigué vers le hublot fait apparaître un décor alors nouveau pour moi : l'immense étendue bleutée de l'océan Atlantique tant survolé jadis est ici remplacé par un paysage de dunes couleur ocre. La scène, qui dure jusqu'au coucher du soleil, est de toute beauté. Rien ne vient chambouler ce paysage d'une partie du berceau de l'humanité : l'Afrique. Cela me conduit à méditer sur les nombreuses métaphores marines entendues lors de mes précédentes navigations qui peuvent trouver sens, ici aussi. Par exemple, à l'instar de notre petitesse face à l'immensité de la mer, qu'en serait-il face à l'immensité du désert ? Le paysage nocturne est tout aussi surprenant. Alors que le survol des États-Unis fait apparaître une gigantesque cité de lumière où les axes routiers ressortent aisément à plus de 13 000 mètres d'altitude, ici, c'est le noir absolu. Absolu ou presque : très rarement, de minuscules tâches d'un orange très vif sont visibles ; ce tableau me donne l'image du survol d'une forêt dense où des foyers de feu seraient présents. Ce n'est seulement que quelques minutes avant l'atterrissage que le paysage extérieur est remplacé par l'image d'une poudre d'étoiles dispersé par terre : une multitude de petits points bleus uniformément et aléatoirement répartis ; aucune route ne ressort, aucune zone plus densément peuplée : nous survolons Douala.

Une passerelle nous permet de descendre sur le tarmac où une chaleur de 27°C et une forte humidité nous attendent ; le ciel est complètement dégagé, il est 21h. À la différence de Chicago où la ville semble vouloir nous digérer, l'espace est ici ouvert et l'impression de respirer est grande. L'aéroport de taille humaine me rappelle étrangement celui d'Ajaccio. Il est simple, pratique, sans superflu et malgré tout très accueillant. Un sapin de Noël bien décoré nous y attend même – tableau contrastant légèrement avec la température ambiante. Le contrôle au poste santé, pour la vérification du vaccin contre la fièvre jaune, est rapide et le passage à l'immigration se fait sans encombre. La police aux frontières n'a rien des cow-boys craints, déshumanisés et tout puissants d'un certain pays de nombreuses fois visité auparavant : les premières impressions de ce pays me séduisent beaucoup. Un bémol arrive cependant avec la récupération des bagages : il me faudra longtemps et du stress, pour récupérer mes valises dans ce hall rempli de monde où les bagages tournent, au goutte à goutte, sur l'un des deux tapis roulant présents. Me dirigeant vers la sortie, je suis alpagué par deux jeunes locaux sans uniforme, me demandant les « talons » de mes bagages pour contrôle. Ce dernier semble réellement factice, j'essaye de les éloigner mais ils sont insistants. Après leur avoir montré ce qu'ils attendaient, ils m'expliquent qu'ils ont une technique pour passer outre la fouille des douaniers et qu'il me suffit de les suivre. Cela ne m'inspire définitivement pas. L'une des douanières vient confirmer mes doutes lorsqu'elle me demande ce qu'ils me veulent. Après leur avoir dit de « dégager », elle m'indique la sortie. Dehors, beaucoup de monde est présent. Certains me prennent par le bras et veulent m'emmener vers un taxi. Leur expliquant que je suis attendu, d'autres me proposent de m'accompagner vers mon chauffeur, moyennant rétribution ; ce dernier est d'ailleurs en vue.

Je prends place à bord d'un 4x4 Toyota aux couleurs de l'Ordre et aux plaques diplomatiques, il est quasiment 22h30. Le moteur lancé, nous tentons d'avancer au milieu d'une foule qui ne semble pas avoir l'intention de se déplacer du devant de l'automobile. Après de nombreux appels de phares et coups de klaxons, nous partons pour l'hôpital. Au dehors, la circulation semble chaotique : voitures plein phare, déboîtement sans clignotant et souvent sans visibilité, motos à trois passagers sans éclairage et roulant à faible allure, route défoncée, feux rouges équivalent à un stop, contrôle de l'angle mort inexistant, ligne blanche purement décorative, piétons sur la chaussée, pas d'éclairage de voirie... Mon chauffeur, prudent, semblant connaître tous les nids de poules et les dos d'âne (non balisés) de la route, me donne pleinement confiance. J'ai cependant de belles frayeur pour les autres automobilistes qui semblent ignorer jusqu'aux règles les plus élémentaires du code de la route. Très vite les maisonnettes qui jouxtent la route, faites le plus souvent de bric et de broc, disparaissent pour laisser place à une végétation tropicale relativement dense. De ci de là, on en retrouve cependant, accolées les unes aux autres. Des marchés et des commerces sont aussi présents malgré l'heure tardive de la nuit ; il y a du monde dans ces endroits. Beaucoup de personnes marchent sur les à-côtés de cette route principale, goudronnée mais sans lumière. Les recommandations de la DCC concernant les trajets de nuit sont maintenant parfaitement compréhensibles, tout comme les remarques de mon prédécesseur m'informant de la nécessité d'une vigilance plus qu'accrue lors de conduite de véhicules où l'on « risque sa vie [ou celle de quelqu'un d'autre] à chaque instant ». Un péage est franchi où l'on s'affranchit de 500 Francs CFA. La végétation est remplacée par d'innombrables bananiers. À 23h45, nous arrivons à mon lieu de résidence.

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Par MAURICE Denis, le 12 janvier 2012 à 18:38

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