De la mort à la vie

De la mort à la vie

Alors que le monde entier fête aujourd'hui le passage de Jésus, revenu de la mort à la vie dans la Gloire, il est impressionnant de voir la manière que chaque peuple a à surmonter la perte d'un être cher. De mon oeil et de mon expérience, un décès est souvent significatif de pleurs, de tristesse, de solitude, de renfermement, de noir, d'une grande douleur intérieure, d'un monde pesant qui s'abat sur nous, parfois sans prévenir, d'un long moment pour s'en remettre etc. Et même si, pour les chrétiens, la mort est synonyme d'un grand bonheur promis et réservé, il (m')est quasiment impossible de l'accepter telle quelle et de ne pas sombrer dans les qualificatifs décrits précédemment. Ce phénomène est, à mon avis, largement amplifié par l'intermédiaire de notre société ultra-protectionniste où chacun a la possibilité et surtout la facilité de se croire non-concerné voire invincible face à la Grande Faucheuse. La suite de ce billet ne saurait aucunement être une description de la manière dont la population locale vit et ressent un deuil mais reflète simplement des réflexions et observations que j'ai pu faire ici et là, au gré de mon travail à l'hôpital ou dans mes diverses excursions dans le pays.

La première chose qui m'a frappé reste l'omniprésence dans les esprits et dans les vies, de la mort. Il est quasiment quotidien de croiser une personne qui vient de perdre un être cher, que ce soit un parent, une sœur, un grand oncle, un enfant... Mais ce qui frappe ici, c'est que, malgré ce que chacun peut ressentir — et il est hors de question de croire qu'un deuil est plus facile à accepter ici qu'ailleurs — la vie continue ! La vie continue toujours et la vie ne cessera pas. Cela est d'ailleurs parfaitement illustré lorsque vous demandez à un Camerounais s'il va bien : dans la plupart des cas, il vous répondra « On est là ». Trois mots. Trois insignifiants petits mots, prenant une signification tout à fait inattendue et résumant une longue phrase : « la vie n'est pas facile tous les jours, les choses sont parfois difficiles, nous n'avons pas forcément tout ce que nous pourrions espérer avoir, mais nous avons, malgré cela, le principal : nous avons l'honneur et la chance d'être : en VIE ! ». Bien entendu, il n'est pas possible de renier le fait que rester en vie est davantage plus dur ici qu'en France, du fait des maladies, de la pauvreté etc. Mais il me semble que tout ne réside pas dans cette explication.

Parfois, des hurlements de femmes retentissent dans l'hôpital. Les paroles ainsi prononcées étant dans une langue locale, il ne m'est pas donné de les comprendre, mais cela sonne un triste événement : la mort. On peut observer au dehors, une femme poussant un brancard recouvert d'un drap blanc sous lequel se dessine une silhouette d'Homme. En pleurant, criant et priant, elle conduit le défunt à la morgue. Quelques jours plus tard, le jeudi ou le vendredi souvent, tous les proches et la famille, en kaba de deuil, généralement d'un ton orangé, se retrouvent, recueillis et priant, devant la bâtisse de ceux qui dormiront éternellement. Ils passeront tour à tour devant le corps inanimé, sans un mot ou hurlant de souffrance puis l'emporteront, à pied. Les chants de prière laissent souvent place, durant le transport, à un orchestre composé de beaucoup de cuivres et entonnant des airs qui me semblent plus festif que mortuaires. Les riches et les notables auront droit a une grande banderole, attachée à l'entrée de la ville, souhaitant la bienvenue aux funérailles de ladite personne. Et de ce qu'il m'a été conté, cela se passe étrangement (pour nous) dans une atmosphère festive où les gens mangent bien, boivent, dansent, chantent et rigolent, en l'honneur de celui qui les a quitté.

Est-ce parce que, d'après les traditions et croyances locales, il a quitté ce monde pour rejoindre celui des morts et qu'il vivra toujours et encore à côté d'eux, veillant sur eux ? Est-ce parce qu'il est parti dans cet endroit, que les Chrétiens appellent le Paradis et qu'il y vivra dans un bonheur éternel ? Ou est-ce parce que ce départ rappelle à chacun que la vie mérite avant tout d'être vécue et qu'il faut en profiter tant que nous sommes encore de ce monde ? La réponse m'est inconnue mais il m'a cependant été donné de goûter à cette impulsion de vie durant la Vigile Pascale. Alors qu'en France, cet événement, représentant la fête la plus importante des Chrétiens, annonce des chants plus joyeux, que les clochent tintinnabulent à n'en plus finir, la joie reste trop confinée. Ici, c'est littéralement une explosion de joie comme il est rarement donné de vivre. Durant le Gloria et mieux, durant l'Acclamation ou même l'Envoi, c'est tout une foule dense qui se met en mouvement, levant les mains au ciel, chantant à tue-tête, dansant, applaudissant, hurlant de joie et faisant exploser toute la tension accumulée depuis plus de quarante jours. Le prêtre n'hésitera pas, à plusieurs reprises, à descendre de l'Autel pour venir danser dans l'allée centrale tout en chantant dans son micro. Car la mort n'est plus une fin non ! Elle est devenue un passage vers un renouveau. Et tout est alors possible, plus rien ne pourra avoir de limite pour personne !

Où est passée la vie en France ? Où même est passée notre capacité à nous sentir en vie et à respecter la vie qu'il nous a été donné de vivre ? Pourquoi de plus en plus de personnes, de jeunes en particulier, la mettent au défi par la consommation de drogues, la consommation excessive d'alcool, par des jeux et comportements mortels etc. ? Comment pouvons-nous altérer le plus beau cadeau qu'il nous a été donné de recevoir de nos parents, alors qu'au même instant, ici comme dans d'autres endroits du monde, chaque nouveau matin s'offrant à chacun est un cadeau du Ciel, les aidant à surmonter bien des difficultés, insurmontable pour la plupart des occidentaux ? Nous avons un très long chemin à parcourir afin de trouver celui qui mène de la mort à la Vie.

Connectez-vous ou inscrivez-vous pour commenter

Par Delphine Cournet, le 24 avril 2012 à 12:06

Devant tant de chouettes textes (les courts et les plus longs comme celui-ci), j'ai fini par m'inscrire !!

Ce texte-là est particulièrement beau et nous invite à nous interroger, merci !!